Série de témoignages d’acteur.rice.s de l’alimentation durable au Québec
Deuxième rencontre : Catherine Lépine-Lafrance de Dinette Nationale
Catherine est confiseure, et se consacre à Dinette Nationale, son atelier-boutique artisanal montréalais, depuis 2009. Elle fabrique des choses sucrées qui mettent en valeur notre saisonnalité et nos primeurs locales.
Elle nous partage comment la crise lui a permis de prendre le temps, pour une fois, et nous fait part de son rêve d’une mise en commun des forces et ressources des artisan.e.s.

© Dinette Nationale
Récolte : « Comment la pandémie vous a-t-elle affectée, vous ou votre entreprise ? »
Assez rapidement, j’ai dû fermer la boutique. J’aurais pu la laisser ouverte car j’étais dans un secteur considéré comme essentiel, mais j’ai dû partager mon temps entre le travail et mes enfants. Je ne pouvais donc plus assurer toutes les heures à la boutique.
Par contre, on a reçu de nombreuses commandes en ligne, ce qui m’a permis de me garder à flot. Et j’ai mis mes enfants à contribution ! Nous avons aussi gardé la production en marche, bien qu’opérant très au ralenti, puisque je souhaitais qu’une seule personne soit présente à la fois à la boutique-atelier, qui est toute petite.
Après un gel de plusieurs semaines, on a reçu pas mal de commandes de nos revendeur.euse.s. Petit à petit, on a repris un rythme presque normal. J’ai pu rouvrir la boutique mi-mai, trois jours par semaine. Le contact avec les client.e.s me manquait. Cuisiner nos produits, c’est bien, mais le kick ultime c’est de pouvoir les offrir en direct !
Mon entreprise est toute petite — mon local et mon équipe aussi. Ça a été mon choix jusque là : j’ai eu deux enfants en même temps que j’ai démarré Dinette Nationale et je voulais être sûre de ne pas me faire avaler par les opérations. D’ordinaire, ce choix place mon entreprise dans une certaine position de vulnérabilité. Mais là, pendant la pandémie, il m’a semblé que, pour une fois, cette petitesse me permettait plus de souplesse, une plus grande résilience… Mes frais fixes sont peu élevés, je produis à la demande, je n’ai pas de dettes. Je me suis donc sentie libre de ‘dealer’ avec toute cette situation à ma façon, c’est-à-dire doucement.
Pour dire les choses bien franchement, cette pause m’a été profitable. On n’a jamais le temps de prendre du recul, revalider nos choix, mettre de l’ordre dans nos idées. Pour une fois, je l’ai pris, entre deux dictées, deux brassées.
« Pendant la pandémie, il m’a semblé que, pour une fois, la petitesse de mon entreprise me permettait plus de souplesse, une plus grande résilience. » - Catherine Lépine-Lafrance

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Récolte : « C’est l’occasion de repenser à bon nombre d’aspects de nos systèmes alimentaires conventionnels existants, quelle serait votre vision pour que ces systèmes soient plus durables, locaux, résilients? »
Je réfléchis depuis un moment à mon modèle d’affaires. Au fil des années (les premiers balbutiements de D/n remontent à 2009) j’ai côtoyé plusieurs collègues qui possèdent comme moi une entreprise de fabrication d’objets, comestibles ou non, avec des méthodes plutôt artisanales, ou du moins à petite échelle. Notre modèle d’affaires à tou.te.s est celui de l’entreprise individuelle, où toutes les opérations reposent sur une seule personne. Une personne qui a un savoir-faire, un rêve, plein d’énergie mais qui s’épuise très rapidement. Les entreprises ne sont pas pérennes, pas super rentables. Je rêve d’un modèle où l’on pourrait mettre en commun nos forces, partager nos ressources, améliorer notre pouvoir d’achat, notre visibilité, grouper nos opérations.
Récolte : « Quelles sont les mesures que vous prenez/pensez prendre pour réaliser cette vision? »
Eh bien pour l’instant, je suis encore en phase exploratoire. J’essaie de voir s’il y a des modèles inspirants ailleurs dans le monde. J’en parle autour de moi.
Un constat revient ces dernières années : je suis tellement prise dans les opérations de mon entreprise que je n’ai pas beaucoup temps pour penser à elle, m’occuper d’elle au-delà des livrables, des affaires courantes. J’essaie de faire de la place pour cette réflexion!
Dans la dernière année, j’ai participé à plusieurs groupes de discussion entre entrepreneur.e.s — parfois entre femmes, parfois dans le secteur de l’alimentation, parfois avec des gens d’horizons différents. Une constante revient toujours : échanger et mettre en commun nos expériences est très riche. Malheureusement, par crainte de la concurrence ou de montrer sa vulnérabilité, on s’en prive souvent !

© Dinette Nationale